En cette fin d'après-midi, c'est au Starbuck universitaire que Blake avait élu domicile pour ses révisions. Et comme si ces pages imbuvables de dialectes financiers n'étaient pas suffisantes pour insuffler une migraine carabinée à quiconque s'y plongerait, le chahut de fin de cours s'en chargeait amplement. Les bruits de rire et de conversations des étudiants empêchaient la jolie blonde d'enregistrer les informations qu'elle lisait. Au bout de la dixième fois qu'elle parcourait le même paragraphe sans en comprendre le sens ou même en retenir un traître mot, elle dut se rendre à l'évidence, il fallait qu'elle se trouve un coin plus calme. D'autant plus qu'elle avait beau souffler d'agacement, personne ne paraissait remarquer le dérangement qu'ils provoquaient. Elle préférait quitter les lieux avant de commettre une tuerie de masse.
L'australienne récupéra son ordinateur, ses cahiers et ses stylos en les fourrant dans son grand sac à main, non sans râler au passage. Mais encore une fois, sa présence studieuse ne semblait perturber personne. Elle aurait aimé se payer le luxe d'être aussi insouciant, mais à chaque fois qu'elle se mettait à rêvasser, ses pensées la ramenaient inévitablement au stress des examens et aux répercussions de ceux-ci. Elle se sentait constamment sous pression, consciente des sacrifices qu'elle et sa famille avaient dû faire pour en arriver où elle en était et ce qu'il l'attendait encore à affronter pour parvenir à ses fins.

Il était hors de question de se rendre à la bibliothèque. Elle avait trop vu ses quatre murs ces derniers temps et Blake commençait à se sentir claustrophobe. Et en même temps, elle avait besoin d'une bonne dose de caféine. Il ne lui restait plus beaucoup d'autres options que de rechercher de la tranquillité dans le centre-ville.
Et le seul endroit qui lui vint à l'esprit était un café qu'elle n'avait pas fréquenté depuis bien longtemps. Depuis une certaine rupture en fait. Autrefois, elle et cette personne -dont elle se refusait à ne serait-ce qu'évoquer le nom dans son esprit - s'y rendait régulièrement. Puis, après leur séparation, elle avait déserté les lieux.
Mais comme elle n'avait pas vraiment d'autres idées d'endroits de ce genre dans lequel aller, Blake se résigna à le rejoindre.

Le carillon de la porte retentit en signe d'accueil. L'odeur réconfortante et familière des grains de café moulus lui chatouilla avec délice les narines. Elle n'observa pas davantage le point de restauration qu'elle ne connaissait que trop bien -elle ne voulait pas invoquer de vieux souvenirs qui n'avaient plus leur place dans son esprit-. Ceci dit, l'endroit n'avait pas beaucoup changé depuis sa dernière visite. C'était toujours aussi cosy et chaleureux. Et heureusement, peu fréquenté aujourd'hui.

Blake s'avança vers le comptoir pour passer commande. Elle avait besoin d'une bonne dose de caféine et de sucre. À la vue des prix, elle fronça légèrement les sourcils. Elle avait oublié les tarifs des boissons. Tant pis, elle avait de toute façon besoin d'un peu de courage avant de reprendre ses cours là où elle les avait interrompus.
« Bonjour, vous avez choisi ce que vous désirez ? » Lui demanda un jeune homme en affichant un immense sourire.
« Un latte macchiato, s'il vous plaît. » Annonça-t-elle sa commande habituelle sans la moindre once d'hésitation.
Pendant qu'il préparait son cocktail caféiné, Blake lorgnait sur les pâtisseries, consciente que ce n'était ni raisonnable pour son portefeuille ni pour sa ligne. Dressés en rang, scones et muffins l'invitaient à leur croquer dedans à pleine bouche. Mais elle ne céda pas.

« Tenez. » Dit le vendeur en lui glissant son café fumant après qu'elle ait réglé ce qu'elle devait. Elle marmonna un merci avant de faire demi-tour.

Et c'est ainsi qu'elle renversa une partie de son gobelet bouillant sur la personne qui attendait patiemment derrière elle. Son regard monta de sa chemise anciennement impeccable à son visage dont elle ne connaissait que trop bien les traits. Elle blêmit alors que sa mâchoire s'entrouvrit de surprise.
« Désolée. » Bafouilla-t-elle maladroitement avec son fort accent australien.
Pitoyable.

Des journées de cours qui sont sommes toutes fort agréable. Peut-être parce que je n’étudie plus que ce qui me plait et que je passe la majeure partie de ce temps de travail sur mon doctorat à préparer cet écrit qui pourrait sceller l’obtention de mon année. Il faut avouer qu’il y a peu de chance que je ne l’obtienne pas. Je ne sais pas encore ce que je ferais ensuite, mais je sais pertinemment que j’ai travaillé durement pour arriver où j’en suis aujourd’hui.
Dans ma famille personne n’a jamais douté sur mon cursus. Le choix de ma maison a forcément fait jaser. Mais il faut avouer que j’aimais beaucoup trop profiter de la vie pour m’enfermer dans un monde uniquement sérieux.
J’avais passé la journée à travailler en tant que professeur de tutorat pour les élèves de troisième et quatrième années. Je prenais ce rôle à cœur et j’avais espoir que mes conseils permettraient à ces élèves de s’investir et de trouver les ressources pour que cette école puisse rester la plus prestigieuse d’Angleterre.
En sortant de cette salle, le soleil vint frapper sur mon visage. Je fermis mes yeux une fraction de seconde pour profiter de ce souffle de chaleur sur mon épiderme. Il fallait avouer que j’aimais cette période de l’année. La douceur des températures ou encore la durée des journées. Non, aucun rapport avec l’abandon des manteaux et des pulls, pour les chemises en lin comme celle que j’avais choisie pour aujourd’hui.
Sacoche à la main, je pris la direction du petit café dont j’étais adepte depuis mon arrivée sur le campus. J’ouvris la porte en faisant sonner le carillon. Je ne fis pas attention au monde, obnubilé par mon téléphone. Alors que j’approchais du comptoir, grappillant peu à peu de la place, la personne devant moi me renversa sa boisson chaude sur moi…
RRAHHHH…
Je secouai mon téléphone et releva les yeux dans une colère peut être excessive avant de reconnaitre de suite le visage qui me faisait face : Blake, celle avec qui j’avais partagé une période de ma vie, qui m’avait quitté sans que je comprenne. J’étais quelqu’un qui savait se contrôler et il me fut peu de temps pour redescendre.
Hailey tu peux remettre un Latte Macchiato et un Ice coffe pour moi ? S’il te plait !
Je regardai gentiment Blake en souriant avant de lui dire en réponse à ses excuses :
ma chemise est pas fan du latte Macchiato ! T’en fait pas, un passage au pressing et il n’y paraitra plus rien
J’avais de gros doute sur cette solution et sur ce résultat, mais au fond est ce que c’était grave ? Je lui fis un sourire en guise de ponctuation avant de payer rapidement et de prendre les deux boissons et de tendre son Latte à Blake. Je la regardai toujours en souriant avant d’ajouter :
Tu as le temps de boire cette boisson avec moi ?
Je ne savais pas trop ce que serait sa réaction, je ne savais toujours pas ce que je devais me reprocher alors après tout pourquoi pas reprendre un peu le contact ? Blake était une fille adorable et qu’elle le veuille ou non, nous avons un passé commun.

Pitoyable.

Blake se rappelait la première fois qu'elle avait vu Ossian, ainsi que le battement que son cœur avait manqué en croisement son regard. Même si cela remontait à plusieurs années, elle s'en souvenait encore avec précision. Et c'était presque ainsi qu'elle se sentit quand leurs yeux se rencontrèrent, si l'on ignorait ce sentiment amer de culpabilité et de regret qui lui tordit l'estomac. Le plus terrible, c'était que même s'il se tenait devant elle avec sa chemise tâchée de café, le brun lui semblait toujours aussi beau qu'au premier jour.

Le calme dont Ossian fit preuve à son encontre -alors qu'elle venait littéralement de l'ébouillanter- ne la surprit pas. Mais c'était à l'opposé de la réaction qu'elle-même aurait eue. Sa désinvolture l'impressionna, comme si le fait qu'elle ait massacré sa chemise n'était pas un problème. Après tout, il avait largement les moyens de se payer les services d'un pressing ou de s'en racheter une autre. Décidément, il y avait peu de problèmes que l'argent ne réglait pas, se surprit-elle à penser, car elle était bien consciente qu'elle ne pourrait pas lui proposer de rembourser le vêtement ou son entretien en guise de compensation.
Elle saisit son nouveau gobelet de café -puisque l'ancien avait perdu son contenu-, et y plongea son regard, comprenant que la fuite lâche ne serait probablement pas une option. Blake n'avait pas envie de se confronter à l'homme qu'elle avait aimé. L'éviter à Oxford et nier son existence était aisé, mais en faire de même alors qu'il était en face d'elle à entamer une conversation, c'était bien différent. Alors, qu'elle cherchait encore comment se sortir de cette situation, Ossian lui proposa de savourer leurs cafés ensemble, ce qu'elle ne pouvait lui refuser.
« Bien sûr. » Accepta-t-elle quelque peu à contre cœur avant de proposer en désignant une table libre, un peu plus loin : « Installons-nous là. »

Blake s'assit face au brun tout en essayant de dissimuler son malaise. Se retrouver ici, dans ce café dans lequel ils s'étaient rendus mainte et mainte fois, dans un contexte bien différent, la gênait. Des flashbacks d'eux, entrelaçant leurs doigts, installés à cette même table lui revinrent en mémoire. Elle les revoyait encore rire ensemble de choses qu'elle avait oublié désormais. Glissant une mèche de ses cheveux derrière son oreille, elle chassa ces souvenirs. Si avant, être face à Ossian et lui parler paraissait naturel et fluide, elle avait l'impression maintenant qu'un mur de non-dits les séparait. Et pour cause, c'était le cas.
Ne désirant pas laisser un silence gênant prendre place entre eux, elle reprit : « Tu as l'air d'aller bien, je suis contente pour toi. ». Et elle le pensait, sincèrement. « Qu'est-ce que tu deviens ? ».
Si Blake avait la douloureuse impression de converser avec un fantôme de son passé, elle savait aussi qu'elle n'avait pas d'autre choix que de l'affronter une bonne fois pour toutes, en espérant l'exorciser pour toujours. En tout cas, c'est ce qu'elle espérait en même temps qu'elle le redoutait tandis que son odeur douce et familière pénétra ses sinus et fit trébucher son cœur comme une adolescente. Car personne d'autre qu'Ossian ne lui faisait cet effet si déstabilisant et incontrôlable.

Blake camouflait bien la nervosité que lui inspirait la présence d'Ossian, du moins, en apparence. Car sous la table, ses doigts s'agitaient entre eux et son pied, terminaison de ses jambes croisées, dessinait des arcs de cercle. Elle pouvait faire semblant de partager avec lui une discussion anodine, pourtant, ses pulsations cardiaques révélaient bien le contraire. Même si son regard paraissait rencontrer celui de son ancien amant sans difficulté, elle luttait pourtant pour le soutenir. En fait, toute cette apparente assurance qu'elle déployait n'était rien d'autre qu'une illusion.

Elle l'écouta raconter à quel point sa vie -sans elle- était passionnante. Elle cherchait désespérément le moindre indice dans ses mots, son ton ou ses microexpressions qui pourrait laisser transparaître que, peut-être, elle lui avait manqué. Parce que même si elle se refusait de l'admettre, imaginer qu'il ait pu tourner aussi facilement la page de leur histoire lui provoquait un douloureux pincement au cœur. Même si leur relation remontait à un certain temps, elle ne s'était pas vraiment accorder le temps de faire leur deuil. Blake s'était plongée dans les études, comme à son habitude quand quelque chose la travaillait. Elle n'avait fait que distraire son esprit. Lui avait sans doute eu largement le temps de digérer leur rupture, et très certainement de faire d'autres rencontres, mais il était bien hors de question de l'interroger à ce propos. Fierté ou réels sentiments, elle n'était pas prête à ce que quelqu'un occupe la place si spéciale qu'elle avait à ses yeux.

Blake but une gorgée de son latte, espérant qu'il lui donnerait le courage dont elle avait terriblement besoin en cet instant. Elle savoura le liquide chaud et sucré avant de répondre, sur un ton qui se voulait décontracté : « C'est vrai, tu arrives à la fin de ton cursus. Le temps passe si vite. Tu sais déjà ce que tu vas faire après ça ? »
C'était étrange de se dire qu'Ossian ne serait plus un étudiant, mais il était vrai qu'il était un peu plus âgé qu'elle après tout, même si elle avait tendance à l'oublier. Et lorsqu'il évoqua les évènements à venir, les doigts de Blake se crispèrent sur son gobelet en même temps que son corps entier se raidit aux souvenirs de ces mêmes moments partagés par le passé. Il était particulièrement ardu de lui faire la conversation comme si de rien n'était, d'autant plus qu'elle ne cessait d'être assaillie par des flashbacks intempestifs et désagréables. Elle chassa de nouveau ces souvenirs indésirables, quand bien même elle ne semblait pas parvenir à les tenir éloignés bien longtemps.

Puis elle saisit l'occasion de changer de sujet, ce qui revenait à parler d'elle à son tour.
« Tu me connais, je me suis bien adaptée à la vie ici, même si mon Australie natale me manque toujours autant. » Confia-t-elle.
Elle se rappela la fois où ils s'y étaient rendus pour qu'il puisse rencontrer sa famille. Blake avait été si gênée qu'Ossian, prince habitué au luxe, découvre la petite vie simple qu'elle et ses proches menaient sur le continent. Et finalement, ça s'était très bien passé. Elle soupira en pensant au nombre de fois, après leur séparation, où sa mère avait demandé des nouvelles du beau brun, chose qu'elle avait éludée jusqu'à ce qu'elle cesse. Ses parents avaient été si déçus de cette séparation, il avait vu en Ossian le beau-fils idéal.
« Et je suis très occupée avec mes études, comme d'habitude. » Dit-elle avant d'ajouter sur un ton léger en souriant : « C'est beaucoup de pression d'être l'une des meilleures étudiantes de sa promo. »
Certes, Blake avait l'esprit de compétition, elle aimait gagner et se sentir supérieur aux autres. Mais elle était très consciente que pour avoir un poste important -et surtout bien rémunéré- à la fin de son cursus, elle ne pourrait pas compter sur ses relations mais bien sur ses résultats scolaires. Et l'australienne nourrissait énormément d'ambition concernant son avenir. Ainsi, joindre une agence de pub ne serait que le premier pas avant d'espérer créer la sienne à son tour. Cependant, contrairement à Ossian, elle n'approchait pas encore de la fin de sa scolarité à Oxford.

Blake leva ses yeux noisettes de sa boisson caféinée. Elle abandonna son sourire solaire pour une mine plus sérieuse. Peut-être que cette rencontre fortuite était l'occasion de définitivement enterrer le passé. Peut-être avait-elle enfin l'occasion de le laisser quitter son esprit et son cœur -quand bien même une voix en elle lui souffla qu'elle n'était pas prête-. Pas prête à abandonner la seule personne à réussir à faire vibrer son cœur endurci.
« Je tenais à m'excuser pour... Tu sais pourquoi. » Reprit-elle. « Je ne tiens pas à déterrer le passé, mais je regrette la façon dont les choses se sont déroulées. »
Peut-être était-ce le pardon qui permettrait de le laisser là où il devrait être, dans son passé. Peut-être lui permettrait-il de fermer cette petite boîte dans laquelle elle avait glissé son souvenir et de la jeter hors de sa tête. Blake n'avait pas envie de ressentir ce qu'elle ressentait à cet instant, ce mélange de nostalgie, de regrets et, à son grand désarroi, quelque chose qui ressemblait à des traces de l'amour qu'elle lui avait porté. Elle voulait plus que tout qu'il la libère. Et elle était persuadée que seul Ossian avait ce pouvoir là tant elle se sentait sous l'emprise du tumulte de ses émotions.
« Je sais bien que nous serons jamais amis, mais peut-être pouvons-nous repartir sur de bonnes bases ? Je veux dire, au moins laisser nos rancœurs de côté ? » Soupira-t-elle, désespérée.
Même si le temps avait passé, elle ignorait les réels sentiments du jeune homme à son encontre. Peut-être la détestait-il au fond, pour l'avoir laissé tomber sans explication. Ou bien, il avait tourné la page depuis longtemps et ses mots n'auraient donc peu de valeurs à ses yeux. Difficile à dire. Mais de son côté, elle ne pouvait oublier à quel point Ossian avait compté pour elle. A quel point, encore aujourd'hui, il comptait bien plus qu'elle ne l'aurait voulu.

A une époque, Blake n'aurait pas imaginé possible d'entendre Ossian évoquer son futur en y omettant sa présence. Pourtant, aujourd'hui, c'était bien le cas. Mais elle aussi avait cessé de l'inclure dans le sien depuis longtemps, quand bien même elle nourrissait un infime espoir qu'il y est encore une toute chance qu'ils se retrouvent un jour. Demain ou dans dix ans.
Derrière sa fierté parfois mal placée et ses airs un peu sauvages, Blake dissimulait un cœur trop loyal, sans quoi elle ne serait sans doute pas la personne protectrice envers ses proches qu'elle était. Mais cela la rendait plus fragile par la même occasion, bien trop attachée et bien trop sensible. Et voir Ossian si proche d'elle et aussi loin en même temps avait de quoi lui lacérer le muscle cardiaque. Quand bien même elle essayait de s'empêcher de ressentir tout ça, c'était bien trop difficile pour quelqu'un avec un caractère aussi entier qu'elle. Mais elle n'en montra rien à son ancien amant, cachant ses sentiments derrière un sourire un peu figé qui se voulait amical et bienveillant, alors qu'un arrière-goût amer de rancœur envahissait sa cavité buccale. Pourquoi ne semblait-il pas éprouver la même chose ?

« On est toujours mieux à la maison ! Mais j'ai appris à apprécier l'Angleterre. » Répondit-elle en songeant que nombre de ses souvenirs heureux étaient aussi liés à Ossian, malheureusement.

Les compliments de ce dernier chassèrent ses pensées parasites qui lui hantaient l'esprit. Il était vrai que personne ne pouvait ignorer son implication dans ses cours. Et pour cause, au-delà de ses ambitions personnelles, être une élève boursière ne lui donnait aucun droit à l'erreur. Des notes en chute pouvaient amener à une suspension de bourse, et sans cette aide, Blake n'aurait aucun moyen de continuer ses études à Oxford. Ceci dit, au vu de ses résultats durant tout son parcours dans l'université, elle n'avait rien à craindre. Elle avait largement fait ses preuves.

Vint enfin un sujet plus sérieux, celui qu'aucun des deux n'avait osé évoquer jusqu'à présent. Et Ossian admit ne plus lui en vouloir, cependant, Blake avait encore du mal à trancher si ce fait était une bonne chose ou non. Bien sûr qu'ils pouvaient repartir sur des bases saines si celui-ci ne gardait aucune amertume de leur séparation. Mais s'il n'y avait plus aucune rancœur, alors intrinsèquement, cela pouvait aussi signifier qu'il n'avait peut-être plus aucun sentiment envers elle non plus, non ? La jolie blonde plissa les yeux pour mieux observer son interlocuteur. Il semblait détendu, comme en paix avec la situation présente, alors que dans son esprit à elle, la tempête faisait rage, comme prête à lui briser le cœur une seconde fois.
Et qu'entendait-il donc par "quelques semaines" ? Elle tiqua sur la remarque qui lui parut étrange. Il aurait pu abandonner sa rancune peu de temps après leur rupture, ou même grâce à leur discussion actuelle. Quel événement avait donc pu lui permettre de tourner la page ?

Pire, qui ?

Alors que les turbines de son cerveau fonctionnaient à plein régime. Ossian déclara qu'une amitié était possible entre eux, chose dont Blake n'était pas persuadée. Comment pouvait-elle être amie avec lui, sans aucune ambiguïté, avec le passé qu'ils avaient partagés ? Avec ce qu'ils avaient vécu ensemble ? Représentés l'un pour l'autre ? Elle bascula la tête sur le côté comme pour mieux l'analyser, alors que les traits du jeune homme ne révélaient rien qui allait dans un sens plaisant pour elle.


« Ossian... » Commença-t-elle alors qu'elle ignorait comment continuer le restant de sa phrase. En plus de ça, formuler son nom lui paraissait étrange tant cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas prononcé. Comme si cela risquait de l'invoquer.
Quant à expliquer pourquoi elle avait rompu, cela lui semblait tout simplement impossible. Elle ne pouvait pas admettre ses insécurités. D'autant plus que quand elle regardait autour d'elle, elle percevait les regards qui se posaient sur le brun. Elle n'aurait sans doute jamais la confiance nécessaire pour apparaître aux côtés d'Ossian. Il lui paraissait trop parfait pour, eh bien, juste elle. Elle et les efforts infinis qu'elle avait déployés pour espérer atteindre sa hauteur alors que sa jalousie avait fini par la consumer. Jusqu'à elle se retrouve face à un choix cornélien. Soit elle se laissait détruire à petit feu, soit elle le laissait partir et se trouver une personne à sa stature, plutôt qu'imaginer le pire à chaque fois qu'il n'était pas à ses côtés. Non, décidément Blake ne pouvait absolument pas avouer tout ça. Et de toute façon elle ne saurait pas comment le formuler à haute voix. Pourtant, dans sa tête l'idée était aussi claire qu'elle était blessante, ils n'étaient pas faits pour être ensemble.

« J'aimerais te donner une explication, sincèrement. » Dit-elle à contrecoeur. « Mais je n'en ai pas. »
L'australienne avait bien conscience que c'était insuffisant comme réponse, mais elle n'avait rien de mieux à lui fournir. Elle plongea son regard noisette dans le café qui refroidissait entre ses doigts.
« Soyons amis. » Dit-elle par culpabilité en relevant les yeux à présent vers Ossian.
Son être entier lui hurlait que c'était la pire idée qu'elle puisse avoir. Ce qu'il fallait c'était qu'elle s'éloigne le plus loin possible de lui, qu'elle le renferme dans sa foutue boîte et qu'elle fasse comme elle avait toujours fait depuis leur séparation, ignorer son existence. Elle espérait du plus profond de son être que cette proposition reste ici, dans ce café où elle ne remettrait plus jamais les pieds.
« Enfin, je ne t'oblige à rien. » Bafouilla-t-elle. « On peut très bien repartir chacun de notre côté si tu ne te sens pas à l'aise avec ça ! »
Elle se sentait bête, maladroite. Et s'il avait évoqué le fait qu'ils puissent être amis uniquement par politesse ?