together we are stronger
feat.   @Seth McIntyre   

« Mamma! Mamma! Vi kommer att bli sena !»

Plus que passablement hirsute et d'humeur assurément grognon, la chose née de mes entrailles glapissait en m'attendant de pied ferme adossée à la porte d'entrée. Bras croisés, yeux plus froids que les miens savaient si bien l'être et une moue si torve qu'elle en devenait adorable ? Cette chose vêtue de guenilles de luxe qui m'avaient coûté une fesse était bien mon fils. Depuis quand la mode était elle devenue aussi ridicule ? La grimace suivante s'accrocha à mes propres lèvres quand je réalisais que ça y est, j'y étais malheureusement parvenue : j'étais devenue ma mère. La vieille chouette jamais satisfaite de rien, toujours à regretter son époque car tout y était naturellement mieux. Connerie !

« Mamma !»

Mon mug de café encore brûlant en main je m'empressais de le vider. Évidemment je me brûlais la langue au milieu sinon cela n'eut pas été drôle. Ce matin on oublierait les toasts et les yeux brouillés au saumon fumé. Dommage, j'avais très faim. Mon blouson que j'attrapais sur la patère de l'entrée et enfilais, un rapide coup d'œil à mon reflet et un soupir qui m'échappait devant ma mine en mode papier journal froissé. L'âge, contrairement à nombre de mes congénères, ne m'avait jamais fait peur. Et â quarante ans j'étais fière de porter à la face du monde monde mes premiers cheveux blancs. Soigneusement cachés sous la couleur de mon artiste capillaire préférée. Quant à mon teint proche du stade cadavérique je me jurais d'arranger cela au premier feu rouge qui croiserait ma route. Quoi ? Oui je suis fière de mon âge, de l'expérience acquise et même des vergetures héritées fe l'instant où j'enfantais cette délicieuse chose qui me rappelait une fois de plus que les adolescents ont besoin de mordre et de rejeter leurs parents pour mieux s'affirmer.

« Bara så att vi är på det klara: Jag förbjuder dig att sticka mig framför mina vänner. Och jag förbjuder dig att göra det du alltid gör: öppna munnen för mycket. »

Ne pas le coller devant ses amis. Ne pas ouvrir ma grande gueule. Noté. La première partie devrait être possible mais la seconde... Avais-je été aussi terrible avec ma mère ? Puisque mon si probe frère était dans les parages sans doute devrais je lui demander ? Mauvaise idée : il risquerait de prendre cela comme une invitation à me passer les menottes. Monsieur Interpol était bien plus prompt à respecter les lois qu'à daigner répondre à sa soeur quand celle-ci faisait l'incommensurable effort de l'appeler. En plus, et pour une fois, je n'entendais pas lui demander le moins service mais lui en rendre un. Andreas a toujours manqué de discernement. Mais il manquait à son neveu alors...

« Får jag påminna dig om att det var du som bad mig komma till denna öppna dag på ert universitet ?»

Suppliée était même plus proche de la vérité. Vous savez ces moments limite dérangeants où vos adolescents sont si calmes que l'on n'entendrait une mouche voler ? Où ils ne sont ni devant leurs consoles, leur pc ou collés à leur smartphone ? Quand ils vous proposent spontanément d'aider à mettre la table et, cerise sur le gâteau : vous font la vaisselle ? De vrais petits anges ! Et, nous, on attend sagement qu'ils crachent leur pilule. Le mien ne demande jamais d'argent, c'est même assez frustrant mais il se trouve que mon fils aux goûts vestimentaires des plus douteux est en revanche doté d'une cervelle fonctionnant à merveilles et d'un coeur en or. Ce dernier lui jouera sûrement de très vilains tours mais quand cela arrivera je saurais quoi faire. Mes amis sont loin d'être les plus recommandables qui soient mais c'est aussi pour cela qu'ils sont parfaits.

« Et parle en anglais.»

Danny avait ri et dans un un élan d'affection qu'il regrettait sans doute déjà il m'avait prise dans ses bras et m'avait embrassée. Un jour qui me semblait encore hier Stellan et moi avions tenu notre enfant dans nos mains jointes. Aujourd'hui mon fils me dépassait de près de deux têtes, venait de fêter ses dix-sept ans et nous étions en route vers Oxford où il étudierait à la rentrée. Le trajet avait été paisible, animé de ces conversations mère-fils qui me manqueraient bientôt tant que je noierais mon chagrin dans un verre. Puis déjà le campus, étrangement fréquenté pour une journée de fin d'été. Mais la rentrée se préparait doucement et tout comme mon enfant d'autres se préparaient à quitter le nid pour mieux prendre leur premier envol. Les premiers petits cartons dans les bras nous avions rejoint le Lady Margaret Hall et le dortoir des Aphrodites mon fils ayant trouvé sa place au sein de cette communauté. J'approuvais le choix. Des couloirs que nous remontions et m'arrachaient un sourire tant cela m'amusait de croiser d'autres parents aux mines aussi chafouines que la mienne. Un grand jour pour nos bébés. Une immense déchirure pour nous.

« Salut ! Moi c'est Danny.
— Salut ! Je m’appelle Jack. Entre ! Tu arrives juste au bon moment : tu veux le lit côté fenêtre ou côté fenêtre ?»

Les deux gamins avaient ri et je m’étais entendue soupirer de soulagement : ils allaient s’entendre. Je déposais mon carton dans un coin avant que de me tourner vers l’homme venu accompagner son enfant lui aussi.

« Salut, papa de Jack. Je suis maman de Danny mais dans le vrai monde on m’appelle Eija.»

Une main que je lui tendais sous les yeux roulant d’exaspération de mon fils et ceux plutôt amusés de son camarade de chambre.

« Mon fils m’ayant fait promettre de ne pas l’embarrasser plus que nécessaire que diriez-vous de les laisser s’installer et en attendant qu’on leur manque je peux vous offrir un café ?»

Mon regard qui passait par-dessus l’épaule de l’homme face à moi.

« Mais peut-être préférez-vous que nous attendions votre femme ?»

Quoi ? J’avais passer l’âge de minauder, étais divorcée et l’homme face à moi était clairement appétissant. Il n’y a rien de mal à se renseigner !

together we are stronger
feat.   @Eija Wallander   

Seth n’en revenait pas, le temps avait filé si vite qu’il était déjà temps d’aider Jack à s’installer dans sa chambre d’étudiant. Son fils, déjà prêt à voler de ses propres ailes ? Il avait failli se pincer pour s’assurer qu’il n’était pas en train de rêver après une garde trop longue, mais Jack l’aurait probablement jugé très fort. Néanmoins, il restait plus qu’heureux que l’adolescent, bien l’adulte, lui ait demandé de l’aider. Sa progéniture allait bientôt faire ses premiers pas à Oxford. Il n’aurait pas pu être plus fier. Mais bien évidemment, il fallait qu’il se réjouisse en toute discrétion. Jack, comme tous les ados, détestait les effusions surtout lorsqu’elles venaient de son paternel. Heureusement, il pouvait cacher sa joie et son enthousiasme en l’aidant à porter sacs et cartons. Mais s’il y avait bien une chose dont il n’avait pas hâte, c’était de voir la chambre de Jack devenir comme abandonnée et dénuée de la vie – parfois plutôt du bazar – que pouvait laisser derrière lui son garçon.

Ils avaient à peine apporté les premiers cartons dans la chambre attribué à Jack et son camarade encore inconnu que ce dernier était arrivé. Et si jamais Seth avait eu des doutes sur la capacité de son rejeton à partager une chambre avec un inconnu, il en avait été délivré presque immédiatement. Visiblement, cela avait rassuré la mère de Danny. Seth avait souri.

« Enchanté, maman de Danny. Dans le vrai monde, on m’appelle Seth. »

Il avait serré sa main, devant les réactions plus ou moins partagées de leurs progénitures respectives. Le côté direct de la femme lui avait fait hausser un sourcil et il avait aperçu Jack lever les yeux au ciel.

« Je crois que Jack est à deux doigts de me flanquer dehors avec élan... »

Il avait secoué la tête.

« Nous risquerions d’attendre trop longtemps : cela fait longtemps que je ne suis plus avec la mère de Jack. »

Seth n’avait pas vraiment besoin de demander s’ils devaient attendre le mari d’Eija. Au lieu de quoi, il s’était décalé pour laisser passer Eija.

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, Jack, tu m’envoies un message ? »

Le « oui oui » plutôt évasif de l’adolescent voulait tout dire. Seth avait eu du mal à ne pas rire. Il s’était ensuite tourné vers Eija.

« Je crois qu’on les embarrasse ? »

L’idée l’amusait, même s’il savait que Jack n’hésiterait pas à l’appeler en cas de besoin. C’était déjà arrivé et comme il l’avait répété plusieurs fois, il préférait de loin devoir sacrifier une nuit de sommeil et être certain que son fils allait bien plutôt que son fils ait peur de lui demander de l’aide.

Alors qu’ils se dirigeaient vers le café, Seth avait fini par laisser échapper un soupir.

« Je crois que là, je viens de me prendre un coup de vieux… Vous aussi vous avez l’impression que c’était hier le tout premier jour d’école de votre fils ? »

Oh oui, c’était un des moments-clés qu’il était heureux de ne pas avoir raté entre deux gardes. Et voilà que son bébé était un  homme.

« Mais qu’on se le dise, je suis terriblement fier de mon fils. »

Ce n’était pas tout les jours qu’on voyait son enfant être accepté dans une aussi prestigieuse université.

« J’en profite que Jack ne puisse pas m’entendre l’embarrasser. C’est mon unique enfant, donc peut-être que j’en fais un peu trop ? »

Seth avait balayé l’idée d’un haussement d’épaule juste après l’avoir énoncée.

« Vous vivez dans le coin ou vous découvrez Oxford ? J’imagine que le père de Danny n’est pas dans les parages ? »

Son mariage avait beau avoir coulé depuis longtemps et d’une manière certes moins spectaculaire mais cependant tout aussi définitive que le Titanic, il avait quand même l’impression qu’il n’intéressait pas Eija qu’en sa qualité de père du camarade de chambre. Et puis, ce n’était pas comme si Jack l’avait plus d’une fois poussé à sortir un peu le nez de son travail, pour rencontrer des gens autrement que dans un hôpital. Jack ne pourrait pas dire qu’il ne suivait pas ses conseils.

« J’ai l’impression que nos fils sont partis pour être les meilleurs amis du campus. »