together we are stronger
feat.   @Nilesh Graham   

La veille au soir n’avait pas été simple et cela se lisait aux traits fatigués de la jeune femme. Là, debout devant le petit miroir de sa salle de bain, Sasha avait un instant laissé son regard courir sur son reflet, se rassurant à ses pommettes toujours aussi saillantes et rebondies mais se désolant à ces ombres sous ses yeux et à ces fines ridules commençant à courir à ses yeux quand elle les plissait. Oh ! Ce n’était jamais que des rides d’expression et en aucun cas un signe ingrat du temps qui passait toujours beaucoup trop vite.

« Maman ! Tu n’aurais pas vu mon pull ?
— Lequel ma chérie ?
— Le Ralph Lauren que grand-père m’a offert ? C’est le seul qui soit assez bien pour l’école demain !»

Le pinceau à fond de teint qui s’abaissait comme un écho au mouvement de la tête, si lourde d’un coup. Évidemment… Facile pour son père d’acheter l’affection de la petite en déboursant des sommes bien trop grandes pour un pull qui lui durerait sans doute pas même un an tant Odessa grandissait vite maintenant. Papy n’avait jamais un penny pour sa propre fille quand celle-ci évoquait ses difficultés à boucler le mois ou, plus bas encore, ses velléités de reprendre ses études mais dès qu’il était question d’acheter les plus onéreux des cadeaux à sa petite fille là il avait les poches qui débordaient de billets. Sasha n’était pas jalouse. Elle était juste triste de ne pouvoir en faire de même. Plus triste encore de voir son enfant aduler son papy et n’avoir pour elle que soupe à la grimace et soupirs de déception.

« Maman ! Il est où mon pull ?!
— Dans ta commode mon ange. Avec tous tes autres pulls.
— Non ! Il n’y est pas !
— Cherche mieux je suis sure de l’y avoir rangé pas plus tard qu’hier.
— Bah viens voir ! Je te dis qu’il n’y est pas !»

Dépassée, et déjà en retard pour sa journée de pré rentrée, la jeune maman s’était rendue dans la chambre de son enfant pour y trouver tous les tiroirs ouverts et leur contenu mis sans dessus dessous. La moitié des vêtements qu’elle avait passé son après-midi de la veille à repasser étaient chiffonnés et reposaient sur le sol.

« Odessa Lara Nemirowskaia ! Tu vas me ramasser tout ça immédiatement ! Tu as cinq minutes ! Et si ce n’est pas fait quand je partirais travailler alors tu seras punie et tu n’iras pas au parc avec tes amies cet après-midi !
— T’avais promis !
— Et tu m’avais promis d’être sage !
— Je te déteste !»

L’enfant avait repoussé sa mère hors de son royaume et en avait claqué la porte. Sasha avait soupiré. Elle allait tenter de s’expliquer avec son enfant quand la sonnette de la porte d’entrée avait résonné : la baby-sitter. Des instructions qu’elle donnait à cette dernière entre deux portes et la voilà qui partait le coeur lourd et la tête embrumée par cette dispute dont elle se serait volontiers passée. Sa voiture coincée par une autre dont le conducteur devait être abruti et impoli la blonde avait du se résoudre à prendre les transports en commun. Heureusement qu’elle avait vu large ! Dans le bus, où elle fut évidemment contrainte de demeurer debout, elle ne cessait de regarder sa montre. En retard ! Elle était vraiment en retard ! Si elle avait été superstitieuse elle se serait dit que cela présageait du pire pour son travail. Heureusement qu’elle avait prévu large ! Enfin, les bâtiments de la prestigieuse université apparaissaient écrasants de majesté. Un arrêt qu’elle demande et la lutte pour atteindre les portes qui se referment si brusquement derrière elle qu’elle en bascule en avant. Le bruit sec d’un talon qui se brisait et elle qui n’évitait la chute que par l’apparition sûrement involontaire d’un poteau humain auquel elle se rattrapa de justesse avant d’exploser en sanglots.

« Mais quelle journée de merde ! Putain de saloperie de merde !»

Elle, si douce, laissait exploser les tensions accumulées des derniers jours. Ses larmes coulaient, faisant ruisseler le noir de son mascara et ruinait un maquillage qu’elle avait mis si longtemps à parfaire. Pour paraître à défaut d’être. Pour avoir une chance de faire bonne impression. Cela semblait plus que compromis. Se ressaisissant elle avait relevé la tête et ancré son regard à celui de l’homme face à elle.

« Pardon ! Pardon ! Pardon !»

Ses excuses qu’elle accompagnait de gestes désordonnés comme pour mieux y mettre plus d’emphase encore. Et le souffle fut bien court quand elle tenta d’expliquer sa précipitation.

« Mais c’est mon premier jour et je ne voulais pas… Enfin premier jour… Non, c’est la pré rentrée… Enfin, même pas : c’est la journée d’information du personnel.»

Un papier qu’elle extirpait, maladroite de son sac dont le contenu ne tarda pas à se répandre sur le sol.

« Merde ! Triple merde ! Saloperie de 8 septembre de merde !»

Sauf que… Aujourd’hui c’était le sept.